Oublie le reste du monde... [PV Some]

Sujet: Oublie le reste du monde... [PV Some] Mer 18 Mar 2009, 23:57

Car le monde t'oubliera... ♫

♥---

- Je t'aime, mon ange…

Pas de réponse. Elle dormait d’un profond sommeil, de beaux rêves apaisants devaient déjà envahir son esprit…

- Sois forte.

Les deux loups se levèrent silencieusement pour ne pas réveiller leur fille. Elle était si belle quand elle dormait… Mais ils devaient partir sans plus attendre. Ils n’avaient pas le choix.
Fireless et Sunwave s’éloignèrent sans mot dire, disparaissant très vite entre les arbres environnants.

***

La fatigue commençait déjà à s’emparer d’elle, mais elle devait continuer, les suivre, toujours les suivre, ne jamais s’arrêter. Courir comme si sa vie en dépendait. Courir comme si elle fuyait quelque chose… Mais à quoi voulait-elle échapper ? Elle ne savait plus, cela n’avait pas de sens… Et puis ils allaient si vite, c’était impossible de garder le rythme. Comme s’ils avaient des ailes invisibles accrochées à leur dos.
Pourtant les deux grands loups finirent par s’arrêter, non loin d’une grotte. Encore. Qui allait les chasser cette fois ? Des monstres sanguinaires ? Sûrement. Mais elle avait l’habitude et la peur l’avait quittée. C’était un jeu à présent : échapper aux méchants. Ils gagnaient toujours, ses parents et elle, et jamais ne viendrait le jour où ils se feraient prendre, ils étaient les meilleurs !

- Latchula, approche-toi.

La louvette obéit et fourra son museau entre les pattes puissantes de son père. Ce dernier entreprit de faire la toilette de la petite boule de poils. Cette fois-ci, ce fut la mère qui parla :

- Nous ne jouons plus, Latchula. Nous ne pouvons plus… Tu vas devoir rester ici.

L’intéressée releva la tête, les yeux brillants. Elle dévisagea sa mère, puis son père, et à nouveau sa mère, ne comprenant pas ce qui arrivait. Elle voulu parler mais Fireless fut plus rapide.

- Ne t’inquiète pas, tu es encore une enfant, ils ne pourront pas te chasser. Certains loups peuvent être idiots, mais pas au point de risquer la vie d’un plus louveteau… Quand à nous, nous allons continuer notre chemin. Tu ne devras pas chercher à nous suivre, quelqu’un d’autre s’occupera de toi, il suffira que tu entres dans la grotte.

Les sanglots de sa fille arrêtèrent le mâle. Il posa son museau sur la tête de la louvette pour la consoler. Elle avait comprit mais la tristesse la hanterait longtemps… Eux aussi avaient le cœur brisé de la laisser ici, face à son destin. Mais cela devait se passer ainsi.

- Et… Vous… Vous reviendrez, hein ? Vous reviendrez me chercher, quand je serais grande ?

Les deux adultes l’observèrent quelques instants, puis d’un accord silencieux, il choisirent de lui dire la vérité, pour réduire ses espoirs à néant dès à présent, pour ne pas qu’elle cherche à les retrouver.

- Non.

Un mot, un seul pour suffire à l’anéantir. Jamais elle ne les reverrais, elle devait leur dire adieu.

- Dors ma chérie, tu es fatiguée… Nous veillerons sur toi dans ton sommeil.

Et ils en profiteraient pour partir. Elle le savait. Mais la fatigue qui la gagnait l’empêchait de réagir correctement, et elle laissa glisser sa tête sur ses pattes. Ses paupières se fermaient toutes seules et elle n’arrivait pas à lutter. Dans un dernier effort, elle réussit à garder les yeux ouverts et elle les vit partir. Les deux loups déployèrent leurs ailes invisibles et s’envolèrent. Leur ombre s’effaça dans les nuages et Latchula cessa de se battre pour rester éveillée.

***

La louvette se leva dans un sursaut. Seule. Elle était seule. Ses parents étaient partis, elle les avait vus. Mais ils s’étaient envolés, c’était impossible… Avait-elle rêvé ? Sûrement… Mais les êtres les plus chers à son cœur s’étaient enfuis, l’abandonnant à son sort.
Cependant Latchula parvint à garder la tête droite et ne pas s’effondrer en larmes. Elle avait comprit que c’était ce qu’il y avait de mieux pour elle et elle ne pouvait en vouloir à sa famille d’avoir voulu cela pour elle. Elle les en remerciait même.

Après s’être dégourdie les pattes et avoir fait le vide dans ses pensées, la petite louve au pelage d’ébène se dirigea vers l’entrée sombre de la grotte. Elle devait se faire accueillir pour avoir une chance de survivre. Elle ne savait pas encore vraiment chasser et elle mourrait de fin si elle restait dans son coin…
Le cœur lourd, Latchula s’assit à l’entrée de sa nouvelle future maison et poussa un petit gémissement pour signaler sa présence.
En attendant une réponse, elle observa les alentours. Les feuilles d’or des arbres poussant non loin frémissaient sous la caresse du vent. Certaines se détachaient de la ramure du grand végétal et entamaient une longue descente, la danse des airs. Les fleurs sauvages de saison tardive se courbaient à chaque bourrasque, comme si elles saluaient un être invisible. La nature chantait, profitant des derniers mois avant d’entrer en hibernation.

Sujet: Re: Oublie le reste du monde... [PV Some] Ven 27 Mar 2009, 09:29

Somewhere rêvait quand les chants de l’aube lui parvinrent. Son esprit était peuplé de couleurs chatoyantes, d’immenses prés couverts de fleurs dans lesquelles il cabriolait, de forêt profonde où il chassait le cerf avec d’autres loups de la meute. Il n’avait pas encore appris à chasser mais qu’importe tant qu’il était avec la meute. La meute. Sa famille. Le jeune loup bougea dans son sommeil. Le loup le plus proche de lui, profondément endormi grogna brièvement et lui envoya un léger coup de patte pour qu’il cesse de gigoter. Le rêve du jeune prince vacilla devant ses yeux avant de s’évaporer dans les limbes de son esprit. Il ouvrit lentement les yeux.

La grotte était encore plongée dans l’obscurité mais au dehors le soleil annonçait son arrivée par les mélodies guillerettes des oiseaux. Regardant autour de lui, Somewhere s’aperçut que tout le monde dormait encore. Il bailla à s’en décrocher le museau puis se leva doucement sans faire de bruit. Il irait voir le lever de soleil ce matin.
S’extirpant avec maladresse de la masse de loups entassés, il écrasa quelques museaux ce qui lui attribua des grognements mécontents et des remarques désagréables. Le louveteau n’en tint pas compte et s’excusa sur son passage.

Arrivé à l’entrée de la grotte, il n’aperçut pas la boule de poils sombre blottie contre elle-même sur sa droite. Observant l’horizon, les nuages formaient de longues bandes de coton mauves ou roses, il se secoua pour chasser les dernières traces de sommeil de son corps. Un gémissement l’arrêta brusquement dans ses étirements matinaux. Intrigué, il tourna la tête vers la source du gémissement. Ce qu’il découvrit le laissa surpris. Un minuscule louveteau se tenait devant l’entrée de la grotte. Une toute petite créature au pelage aussi sombre qu’une nuit sans étoiles. Somewhere s’approcha à pas prudents de l’égarée. Il ne détecta aucune odeur particulière chez elle, juste celles qu’il devinait être celles de ses géniteurs.

Rassuré, il avança plus franchement pour l’avertir de sa présence. Elle était peut-être riquiqui mais elle pouvait encore le mordre et il se montrerait sûrement assez chevaleresque pour ne pas l’attaquer. De toute manière il était trop jeune, il ne savait pas encore se battre. Bref, Somewhere posa délicatement sa truffe sur le dos tremblant de la loupiotte.

« Salut. Tu t’appelles comment ? »

Face à un loup plus jeune que lu, le jeune prince se sentait plus en confiance. Il n’était pas considéré comme le petit. Peut-être la louvette n’aimerait pas non plus se sentir la plus jeune ? Somewhere se promit de surveiller ses paroles pour ne pas qu’elle se sente dévalorisée.

Sujet: Re: Oublie le reste du monde... [PV Some] Sam 28 Mar 2009, 19:04

L’appel avait résonné dans la grotte, vibrant sur les parois en pierre de la maison des Blacks. Soudainement, la louvette prit peur. Et si personne ne voulait d’elle ? Et si c’était un loup méchant qui venait la voir, et qui la dévorait parce qu’il était affamé ? Inquiète, Latchula se recroquevilla sur elle-même. Elle tremblait. Avec un peu de chance, si un animal pourvu de mauvaises intentions passait par là, il croirait qu’elle avait froid, donc qu’elle serait peut-être malade, et il ne voudrait pas la toucher. Oh ! Mais c’était un bon plan ça ! Quoique… Si elle voulait vraiment se faire accepter ici, elle devrait quand même rencontrer quelqu’un appartenant à cette meute.

Au moment où elle voulait se relever pour affronter son destin, même s’il était de finir entre les crocs de prédateurs plus puissants qu’elle – chose facile étant donné son âge et sa taille – elle sentit quelque chose venir lui toucher le dos. Elle tourna la tête vers l’inconnu qui s’était dévoué pour l’accueillir et constata que c’était un louveteau un peu plus grand qu’elle qui l’avait frôlé de sa truffe. Il la salua et lui demanda son nom. Latchula ne répondit pas tout de suite, se relevant d’abord, et dévisageant le louveteau. Puis elle sourit.

- Bonjour ! Je m’appelle Latchula.

Ne pas l’effrayer, rester calme… Et pourtant, elle mourrait d’envie de se mettre à jouer avec lui. Mais elle n’appartenait pas encore à la meute, elle devait d’abord s’intégrer. Ensuite peut-être, pourrait-elle s’amuser.
Assise, la tête haute, la loupiotte essaya de se faire la plus grande possible. Mais le louvard était plus âgé qu’elle… Il la dépassait encore. Cependant, elle ne relâcha pas la position, afin de ne pas paraître plus petite qu’elle ne l’était déjà. De toute façon, elle grandirait, et adulte, ils feraient sans doute la même taille…

- Et toi ? Comment tu t’appelles ?

Elle pencha la tête sur le côté, comme chaque fois qu’elle posait une question. Elle en avait beaucoup d’autres, mais il fallait bien commencer par une. Les suivantes viendraient petit à petit…

Un papillon aventureux vint la distraire quelques secondes en voletant sous son museau. Ses couleurs chatoyantes donnaient envie à la louvette de lui courir après et de le croquer pour vérifier si son goût égalait ses teintes lumineuses. Elle imagina une saveur sucrée, mielleuse et croustillante à la fois… Une saveur des meilleures, sans aucun doute !
Latchula secoua la tête pour chasser ces belles pensées et revenir à l’instant présent. Elle s’occuperait plus tard de l’éphémère… Bien qu’elle ait peu de chances de le retrouver, malheureusement. Et puis à cette période, ils étaient vraiment très rares. Mais cela, la petite boule de poils ne le savait pas encore. La jeune louve au pelage d’ébène ne connaissait encore presque rien de la vie, elle apprendrait plus tard que l’hiver, les animaux s’endorment, pour se réveiller au printemps, où les fleurs poussant ça et là, enchantant l’air de leur parfum…

La petite boule de poils sombre dévisagea Somewhere une fraction de secondes puis un joli sourire éclaira ses prunelles d’encre. Le louveteau lui rendit son sourire espiègle. Les rencontres qui commencent par un sourire ne peuvent que continuer sur les chemins aux couleurs du bonheur. La petite étrangère se présenta. Elle s’appelait Latchula. Latchula. Latchula. Le jeune prince s’imprégna de ce prénom aux résonnances joyeuses. Autour de ce prénom, dans son esprit, il ajouta les couleurs vives et chatoyantes de l’arc-en-ciel. Le nom de la louvette sonnait comme la mélodie d’une clochette. Latchula. Il joua la jolie musique plusieurs fois dans sa tête puis s’intéressa de nouveau à.. Latchula.

« Et toi ? Comment tu t’appelles ? »

Comme il s’était promis de ne pas faire le grand loup pour ne pas dévaloriser la petite inconnue, il ne bomba pas le poitrail et ne se redressa pas fièrement. Il resta comme il était, la tête penché dans le sens opposé à celui de Latchula, un bout d’oreille replié et l’autre bout pointé en direction de la petite louve. Son timbre enfantin carillonna dans l’air frémissant du matin.

« Somewhere. »

Il allait lui demander ce qu’elle faisait du côté de la grotte des Blacks, elle ne portait en effet pas l’odeur de la meute, ni celle des Whites, encore moins des Rainbows. Solitaire peut-être. Mais si jeune.. Il allait donc poser sa question lorsqu’un papillon téméraire vint danser sous leurs yeux. Somewhere surprit le regard gourmand de la loupiotte et faillit répliquer qu’il voulait autant qu’elle croquer les ailes du danseur aérien multicolore et donc qu’il faudrait se le partager. Mais il se tut. Latchula secoua la tête et reporta son regard sur lui. Le louveteau lui sourit pour la mettre en confiance. Elle était nouvelle à n’en pas douter et minuscule comme elle était il devait passer pour un gros louvart impressionnant. Lui qui n’avait pas encore atteint sa taille adulte et encore heureux ! Somewhere détestait être le plus petit.

Comme il ne se rappelait plus ce qu’il voulait lui demander avant que le papillon vienne les distraire, le louveteau tourna la tête vers l’est et trouva vite une question de substitution. Après tout il ne s’était pas lever pour les papillons ! Il plongea un regard brillant d’excitation sur Latchula.

« Tu veux que je te montre quelque chose d’unique ? »

Le jeune loup sautillait presque sur place. Latchula serait peut-être la première à participer à ses excursions matinales. Elle n’en connaissait pas la valeur mais Somewhere savait que c’était un privilège. Personne n’avait encore découvert Cet endroit.. Il la pressa de répondre. C’était une question de secondes.

« Mais il faut faire vite ! Alors tu viens ? »

Un sourire polisson plissa ses grands yeux caramel.

« Sinon j’y vais sans toi ! »

Un sourire pour un sourire, c’était ce qui semblait être le chemin de leur rencontre. L’un était le miroir de l’autre. Si Latchula penchait la tête en lui offrant son nom, le louveteau lui dévoilait le sien en inclinant sa tête de l’autre côté. Son timbre carillonnant reflétait la voix fluette de la louvette.
Somewhere… Idée d’une promesse. Mais laquelle ? Soit patiente petite louve, tu le découvriras le temps venu…
Somewhere… Un chant doux dans son esprit, rassurant. Une présence sur qui elle pourrait compter, elle en était sûre.
Somewhere… Une attache à ce monde dangereux, un lien à sa nouvelle famille. Si elle était acceptée. Mais grâce à lui, elle savait que c’était possible.
Somewhere… Le nom de son nouvel Ami. Un véritable Ami, elle n’en doutait pas.
A présent, trois noms résonnaient dans ses pensées. Deux étaient des souvenirs qui lui brûlaient encore le cœur. Deux empreintes témoignant de l’amour qu’on lui avait porté. Deux marques qui resteraient à jamais gravées en elle. Peut-être ne les reverrait-elle jamais, mais jamais elle ne les oublierait. Quoi qu’il se passe, ils seraient toujours avec elle. En elle.

Nouveau sourire. Confiance. Reflet dans le miroir.
Le louveteau tourna la tête vers une autre direction, pour ensuite replonger son regard ambré dans celui de Latchula. Une invitation. A le suivre. Mais où ?
Déjà il s’impatientait. Ce qu’il voulait lui montrer devait être vraiment merveilleux pour qu’il sautille ainsi dans tous les sens en attendant une réponse trop lente à venir à son goût. Comprenant l’urgence du cas la louvette, acquiesça sans hésiter.
Qu’importe ce qu’il voulait, elle le suivrait. La jeune aventurière aimait la découverte, et ce monde nouveau regorgeait de coins encore inexplorés. Ce serait une véritable partie de plaisir que de débuter sa journée par une promenade, elle en était certaine.

- J’arrive ! Attend-moi.

Et elle s’élança aussitôt, accompagnant le petit loup dont elle ignorait le rang princier. Mais quoi de mieux que de débuter une amitié sans avoir de barrière due au grade ?

- Dis ? Où va-t-on ?

Insatiable curiosité.
Sa joie de vivre la poussait à vouloir dépasser les limites de sa connaissances, pour pouvoir ensuite raconter ce qu’elle avait vécu avec beaucoup d’enthousiasme.

Elle se souvint alors de ce jour où elle avait réussi à échapper à la vigilance accrue de ses parents. Elle en avait profité pour se mettre à la poursuite de fourmis qui ne demandaient qu’à rentrer dans leur trou pour être à l’abri. Après avoir perturbé le travail de ces insectes, elle avait continué son exploration un peu plus loin dans la forêt dans laquelle elle vivait. Au bout de plusieurs minutes, elle était tombée sur ce qu’elle avait prit pour un monstre énorme, ou du moins un ours. Elle n’en avait jamais vu, elle avait juste entendu dire que c’était très gros, plein de poils et avec beaucoup de dents… Bien sûr, elle s’enfuit à toute vitesse pour retrouver la présence réconfortante de ses parents. Pourtant, un peu plus tard et calmée de ses émotions, elle avait commencé à leur narrer son aventure. Dedans, elle était l’héroïne qui avait terrassé le monstre sanguinaire. Sunwave et Fireless avaient fait semblant de croire à son invraisemblable histoire, bien entendu.Mais Latchula avait compris quelques temps après que ceux en qui elle avait une confiance absolue lui avaient seulement fait plaisir en ne lui avouant pas qu’il ne s’agissait pas du tout d’un ours, mais d’un singe, qui étaient beaucoup moins rares dans la jungle où ils habitaient. Effectivement, un ours n’avait pas de longue queue… Et ils lui avaient aussi caché qu’ils ne la croyaient pas du tout, et qu’ils pensaient à juste titre qu’elle avait prit ses pattes à son coup et les avait rejoint en quatrième vitesse.
Cependant, cette découverte n’altéra en rien le sentiment d’amour qu’elle leur portait.

Ce souvenir tira à la louvette un sourire résigné. Jamais plus elle ne pourrait compter sur eux pour lui faire croire ce qu’elle voulait…

Le louveteau partit en bondissant, se dirigeant au dessus de la grotte des Blacks. La caverne rocheuse se trouvait en effet sur une colline, pratiquement à mi-chemin entre la ligne d’horizon et le sommet du mont. Latchula l’intima de l’attendre d’une voix tintinnabulante. Comme si ses intonations étaient en fait un chœur de clochettes qui carillonnaient lorsqu’elle s’exprimer. Somewhere ralentit immédiatement l’allure et se força à marcher doucement pour qu’elle ne le perde pas de vue. En réalité c’était surtout lui qui ne voulait pas la perdre de vue mais il était encore trop jeune pour le comprendre. Alors, partagé entre son impatience d’atteindre le sommet de la colline avant qu’il ne soit trop tard et le besoin irrépressible de vérifier que Latchula le suivait bien, il se contraignit à modérer son allure. La louvette le rejoignit rapidement et s’enquit de savoir où ils allaient. Le jeune prince lui répondit par un sourire mystérieux.

La côte se faisait un peu plus raide. Les buissons et les frondaisons laissaient peu à peu place à de simples mais majestueux conifères dont les aiguilles parsemaient le tapis de verdure du sol. Somewhere aimait le contact à la fois ferme et tendre de la mousse sous ses coussinets. Cela lui rappelait où il se trouvait et le contact si particulier qu’il établissait avec la Nature. Une relation où respect et amour infini s’entremêlaient. La relation qui devrait unir tous les loups à la Terre Mère mais qui, par un malheureux hasard, se perdait en filaments d’oubli dans l’esprit des fils de la Nuit.

L’air se fit plus pur à mesure qu’ils montaient le long de la colline. A vrai dire, la distance entre le sommet et la grotte ne représentait qu’une centaine de mètres. Cependant pour des louveteaux aussi jeunes que ces deux vagabonds, cette raisonnable distance devenait une aventure de tous les instants.
Somewhere lança un regard par-dessus son épaule pour surveiller la progression de sa nouvelle amie. Amie.. Il était étrange ce mot. Tout entouré de tendresse et de confiance à offrir. De fous rire à partager. De secrets à se confier. Un joli mot. Rempli de promesses. Le louveteau sourit puis continua de grimper, bondissant comme un cabri sur les reliefs de la pente.

Somewhere arriva le premier au sommet. Il profita des quelques secondes d’avance qu’il avait sur la louvette pour reprendre son souffle, constater qu’ils n’avaient rien raté et lancer à la petite louve d’un air joueur.

« Latchula ! Ferme les yeux quand tu seras en haut d’accord ? »

Il réfléchit puis ajouta d’une voix où pointait l’offuscation.

« Triches pas hein ! »

Latchula arriva sur ces entre-faits. Le louveteau se plaça contre son flanc pour qu’elle le suive dans la bonne direction et qu’elle regarde du bon côté. Il la fit avancer jusqu’à l’extrémité du sommet afin que son champ de vision ne soit pas occulté par un élément naturel. Son museau chercha l’oreille touffue de la louvette. Il murmura.

« Vas-y, ouvres les yeux. »

Ses paupières s’ouvrirent lentement. Le souffle court, il attendit sa réaction.

CECI

Somewhere allait plus vite qu’elle, mais il l’attendait. Elle savait bien qu’elle le ralentissait, mais il n’avait pas l’air de lui en tenir rigueur. Ce qu’il voulait lui montrer devait être très éphémère pour qu’il la presse ainsi, mais il était prêt à rater le spectacle pour ne pas égarer Latchula.
Quand les deux louveteaux furent à la même hauteur, le petit mâle choisit de répondre à la question sur la destination par un sourire mystérieux. L’éclat des yeux de la jeune louve n’en fut que plus fort, impatiente de découvrir ce qu’il voulait partager avec elle. Ce devait vraiment être merveilleux…

La pente se fit plus raide, et la loupiotte devait pousser plus fort sur ses pattes pour garder le rythme. Son souffle était court, mais pour rien au monde elle n’aurait avoué à son nouvel ami qu’elle était fatiguée. Lui, il était plus grand, il avait des pattes plus longues, des muscles mieux développés. Elle, elle était encore toute petite et n’était pas habituée à grimper ainsi une côté le plus vite possible…
La beauté de la nature forçait la boule de poils à regarder partout autour d’elle alors qu’elle aurait dû se concentrer sur sa destination. Les aiguilles des pins qui verdissaient le sol avec la mousse embaumaient l’air d’une fraîcheur nouvelle. Latchula inspira profondément pour ancrer en elle ce parfum envoûtant. Si elle n’avait pas été aussi pressée d’arriver en haut de la colline, elle se serait roulée par terre pour s’envelopper des senteurs nouvelles. Tant pis, elle emmènera son nouvel ami jouer avec elle dans le bois de pins majestueux après avoir vu ce qu’il avait à lui montrer.
La centaine de mètres qui séparait la grotte du sommet de la butte se transformait en une distance bien plus grande pour le petit être qu’elle était, cependant son endurance lui permit d’arriver à destination. A la demande de Somewhere, la jeune femelle ferma les yeux le plus fort possible, pour s’empêcher de les ouvrir sous le coup de la tentation. A la remarque du louveteau, elle répondit, outrée :

- Je ne triche jamais !

Elle fit mine d’être vexée, pourtant un sourire fronça son museau peu de temps après. Le contact du corps chaud du black la fit sursauter, mais elle comprit rapidement que c’était lui qui venait se coller à elle pour la guider.
Un frisson la parcourut quand le murmure chatouilla ses oreilles, et elle ouvrit lentement les yeux.

Magie.
Bonheur.
Emerveillement.
Il n’existait pas de mots assez forts pour exprimer ce qu’elle ressentait à cet instant même.
L’aurore. Elle ne connaissait pas encore ce doux mot, juste sa signification. L’astre d’or se levait, apportait la vie à la Terre endormie. Le soleil d’hiver était le plus beau, bien qu’elle n’ait pas encore découvert celui des beaux temps. Il réchauffait les corps transis par le froid, propageant sa lumière réconfortante pour réveiller les endormis.
Ses rayons passaient à travers les nuages, leur offrant les plus belles couleurs du ciel. Le firmament se teintait de nuances rosées, pourpres et indigo. La jeune louve avait l’impression que le Prince du jour avait éclaté en milles morceaux et s’était éparpillé partout dans la voûté céleste. Des anges se seraient mis à descendre du ciel qu’elle n’en aurait pas été étonnée.
C’était beau. La plus pure des beautés. La plus simple aussi.

Latchula sentit ses yeux la piquer. Etait-ce l’émotion ou la lumière inhabituelle qui se dégageait de la nature, elle ne le savait pas. Les deux y étaient peut-être pour quelque chose.
Sur son pelage de jais dansaient les couleurs du ciel. Dans ses yeux brillant se reflétaient les teintes enchanteresses. Dans son esprit enfantin retentissaient des hurlements de joie.

Touchée au plus profond d’elle-même, la boule de poils se détacha du spectacle grandiose qui naissait devant elle pour se tourner vers Somewhere. Elle avait conscience d’être la seule, la première avec qui il partageait ce moment sublime. Et elle lui en était reconnaissante. Voyait-il en elle une amie comme elle le décelait en lui ? Sûrement. Sinon, pourquoi l’aurait-il menée jusqu’ici ?
Elle voulut dire quelque chose, exprimer sa gratitude, lui dire merci. Elle ne dit rien. Son regard exprimait suffisamment ce qu’elle pensait à l’instant même. Il comprendrait.
Aussi jeune soit-elle, elle était sensible à ce qui l’entourait, et elle venait de découvrir quelque chose d’extraordinaire. Ce jour resterait à jamais dans sa mémoire, elle se le jura.

Tandis que celle qu’il appelait désormais amie découvrait la renaissance d’un monde, Somewhere prit le temps de l’observer. Elle était petite. Minuscule. Cela engendrait-il la vulnérabilité ? Dans son cas, oui. Elle paraissait si fragile avec ses petites pattes maladroites, son museau et ses oreilles encore rondes. Son pelage n’était encore qu’un duvet ébouriffé aux couleurs sombres. Les rayons du soleil qui venaient caresser sa fourrure renvoyaient des reflets tirant sur le violet. Somewhere aimait bien la couleur de son pelage. Elle ressemblait à celle de son père mais en moins effrayant.

Le louveteau ne s’était pas exclamer au fait qu’il offrait un de ses secrets les mieux gardés à une parfaite étrangère. Il avait eu envie de montrer l’aube à Latchula. Ca lui suffisait. Sur cette pensée, il tourna son museau vers l’est pour contempler une nouvelle fois la naissance du jour.
Et comme chaque matin où il grimpait en haut de la colline, sa gorge se serra.
Et comme chaque matin, son cœur prit le rythme des battements infinis de l’univers.
Et comme chaque matin, il tendit son âme vers les cieux dans l’espoir fragile de s’envoler.
Et comme chaque matin, il resta Somewhere. Prince des Blacks. Contemplant la naissance d’un astre.

Et quelle naissance ! On eût dit que la Nature au complet avait décidé de se faire belle pour parader devant les deux regards émerveillés. Les cieux dévoilaient une myriade rare de couleurs. Les rayons dorés filtrant à travers les nuages leur donnaient des teintes bleutées tirant sur le mauve clair. Là où le soleil parvenait à passer, les nuages se coloraient d’or et de feu. Le vent jouant de ses souffles sculptait le ciel dans les formes les plus inattendues et les plus folles. Un groupe d’oiseaux migrateurs fuyant vers les tropiques zébra le tableau majestueux de rayures fines. Et derrière tous ces fastes et ces arcs-en-ciel naissait le soleil. Etoile de feu dans un univers glacé. Somewhere soutint ses rayonnements quelques secondes puis fut contraint de détourner les yeux pour ne pas être aveuglé définitivement. Son regard tomba sur celui de Latchula.

La flamme dansant dans ses prunelles renversa son cœur. Comment faisait-elle pour exprimer autant de gratitude par la seule force de son regard ? Le louveteau en était tout retourné. Il était mal à l’aise devant la reconnaissance que lui témoignait Latchula. Ses prunelles d’encre étaient comme deux océans de tendresse à cet instant. Aurait-elle voulu dire quelque chose, ses yeux parlaient pour elle. Somewhere sentit sa gorge s’assécher. Il ne méritait pas toute cette gratitude. Il combla maladroitement le silence qui les séparait.

« Personne ne vient jamais ici. Les loups de la meute ne pensent qu’à se battre avec les Whites ou à chasser. Ils s’en sortent bien, ils ont une belle vie mais… En atteignant leur but, ils ratent tout le reste. »

Par peur de se noyer dans les yeux de la louvette, Somewhere détourna les yeux pour replonger quelques minutes dans la contemplation du soleil levant. Il eut soudain envie de lui dire ‘frimeur’. Il s’était fait tout beau pour la venue de Latchula. Jaloux lui ? Jamais. Le louveteau aimait bien la petite nouvelle, elle était rigolote avec ses airs de grande louve alors qu’elle lui arrivait tout juste à l’épaule. Un sentiment de jalousie et de possessivité le gagnait tandis qu’il méprisait le soleil du regard. C’était SON amie, à lui, pas à cet espèce de boule enflammée qui brillait toute la sainte journée !

Somewhere lui lança un dernier regard assassin pour le mettre en garde puis il se détourna de lui en l’ignorant ostensiblement. Prenant son courage à deux pattes, il plongea ses yeux caramel dans cet océan sans fin qui le faisait trembler et s’exclama.

« Tu veux redescendre ou rester ici ? »

Somewhere s’était décidé à plonger dans l’océan de son regard, au risqué de s’y noyer. Le silence qui planait entre eux ne la gênait guère, mais lui semblait être plus embarrassé par l’absence de paroles. Il combla alors le vide. A l’évocation de ce qu’elle espérait être sa nouvelle famille, la loupiotte focalisa toute son attention sur ce qu’il disait. Les grands loups se battaient. La guerre… Elle avait déjà entendu cela quelque part. Beaucoup de leurs congénères mourraient en se battant pour un territoire. Latchula trouvait cela idiot. Mais elle était jeune, elle ne pouvait pas comprendre. Pas encore. Plus tard. Peut-être…

Il tourna très vite la tête vers le lever de soleil et resta pensif quelques instants. Inconsciente d’être la cause de son trouble, la louvette l’observa plus intensément encore. Il semblait être en colère cette fois-ci. Mais contre qui, ou quoi ? Avait-elle fait une bêtise sans s’en rendre compte ? Non… Le jeune mâle était trop concentré sur l’astre brûlant. Etait-ce à cette étoile d’or qu’il en voulait ? Mais pourquoi ! Pourquoi donc regardait-il le soleil avec tant de haine ? Lui qui venait de montrer le spectacle de l’aurore à Latchula méprisait maintenant le Prince des jours. Etait-il jaloux de sa beauté ? Si c’était cela, il faudrait qu’il apprenne à ne pas se comparer avec l’astre d’or...

En pensant à cela, la boule de poils sombre se souvint de cette nuit claire où elle s’était prise pour la lune. Bien entendu, ses parents ne l’avaient pas démentie. Et il lui prenait encore quelques fois de se croire aussi jolie que la Dame d’Argent. Elle avait ça dans le sang, la petite. Fière de ses parents mais aussi d’elle-même. Elle aurait bien de la chance que cela ne se retourne pas contre elle un jour…

Enfin le louveteau revint s’immerger dans les yeux brillants de la petite femelle. Le regard caramel du plus grand des deux s’était paré pour ne pas s’enfoncer dans les ténèbres des prunelles de Latchula. Il lui offrit le choix entre aller s’amuser dans le bois de pins majestueux ou rester ici à regarder ce qu’il détestait depuis peu. Elle l’observa encore pendant plusieurs secondes avant de se décider à répondre. Non seulement elle mourrait d’envie d’aller se rouler dans les épines parfumées qui tapissaient le sol frais, mais en plus elle ne voulait pas contraindre son nouvel ami à être là où il voyait le mieux son ennemi.

- Viens, on va jouer dans les bois !

Avec son enthousiasme habituel, elle entama la descente à vive allure, dévalent la pente au risque de trébucher et de finir la course en une roulade dangereuse. Les arbres se rapprochaient vite. Trop vite. Latchula n’avait même pas prit la peine de vérifier si Somewhere la suivait. En tournant la tête, elle risquait de louper quelque chose et de foncer droit dans un rocher. Rocher qui d’ailleurs se dressa devant elle. Elle ralentit le mieux qu’elle put et tenta de grimper dessus. Raté. Ses griffes ripèrent sur la pierre et elle glissa. Se retrouvant assise sur son derrière, elle décida de s’accorder une pause pour attendre le jeune black qui arrivait. Alors qu’il parcourait les derniers mètres les séparant, elle voulut de nouveau essayer l’ascension du rocher. En détaillant les trous taillés dans la pierre, elle décela un passage pour monter. Oh ! Ce n’était pas un bien grand obstacle. Il devait faire trois fois sa taille, en large, en long et en hauteur. Une fois grimpée en haut, la louvette regarda son ami qui était encore en bas. Elle lui sourit et s’exclama :

- Je trouve que les levers et couchers de soleil sont plus beaux que ceux de la lune… Pourquoi n’y a-t-il pas autant de couleurs la nuit ? Pourquoi les lacs ne se colorent que d’argent quand la lune apparaît, alors qu’ils prennent les teintes de l’arc-en-ciel quand le soleil se réveille ou s’endort ?

Pourquoi. Pourquoi ? Pourquoi ! Toujours pourquoi… La boule de poils aux reflets de la nuit ne pouvait s’empêcher de poser des questions. Mais comment pouvait-elle savoir qu’elle risquait de froisser le jeune mâle en faisant l’éloge de l’astre d’or ? Elle ignorait le sentiment de jalousie, elle ne pouvait donc pas penser que c’était cela qui alourdissait le cœur pourtant si pur du louveteau.

Sans paraître hésiter sur la réponse à donner, Latchula enjoignit le jeune prince à venir jouer avec elle dans les bois. Bondissant dans la pente plutôt raide de la colline où ils s’étaient perchés, la louvette galopa jusqu’à un rocher massif. D’abord indécis, Somewhere finit par la suivre. Après tout c’était lui qui lui avait demandé de choisir et puis ainsi, coup d’œil assassin, le soleil ne pourrait plus la reluquer. Latchula dut s’y prendre à deux fois pour réussir à grimper sur le rocher. Le jeune loup la laissa se débrouiller toute seule ce qu’elle parvint à faire comme une grande. Il eut presque envie de la féliciter mais se contînt de le faire sûrement mu par une légère timidité.

Une fois juchée sur le point culminant de la pierre, Latchula lui sourit avec tant de tendresse que le cœur de Somewhere se renversa. Elle s’exclama, toute joyeuse et bien loin d’imaginer le chambardement qu’elle avait provoqué dans l’esprit du louveteau :

« Je trouve que les levers et couchers de soleil sont plus beaux que ceux de la lune… Pourquoi n’y a-t-il pas autant de couleurs la nuit ? Pourquoi les lacs ne se colorent que d’argent quand la lune apparaît, alors qu’ils prennent les teintes de l’arc-en-ciel quand le soleil se réveille ou s’endort ? »

Drôle de question. Il s’était attendu à une proposition de jeu, au lieu de cela elle le bombardait de questions auxquelles il n’avait pas encore de réponses. Pour ne pas la vexer, Somewhere fit semblant de chercher réponse à ses attentes. Fronçant les yeux et le museau, il se dit que la beauté des levers et couchers d’astres ne venaient pas forcément des couleurs qu’ils offraient mais plutôt de l’instant que l’on partageait avec la Nature. Une sorte d’harmonie complète lorsqu’un des deux astres naissait ou s’éteignait. Latchula associait la beauté à la variété des couleurs, très bientôt elle s’éveillerait aux sons et combinerait la beauté colorée à la beauté musicale. C’était une sorte de palier à passer, un degré d’appréciation qu’on approfondissait au fil des ans.

Finalement il l’avait sa réponse. Le louveteau sourit, fier de sa propre réflexion. Un œil plongé dans le regard noir d’encre et pétillant de curiosité lui apprit que la réponse se faisait attendre. D’un ton calme et posé, il répondit donc à la petite.

« Il y a de la beauté dans chaque chose. Il faut simplement accepter qu’elle soit plus ou moins colorée, plus ou moins mélodieuse, plus ou moins parfumée… Si tu arrives à apprécier toutes les beautés de la Nature alors tu es en harmonie complète avec elle. Lorsque chaque brin d’herbe, chaque cours d’eau te révèle un instant de magnificence c’est que l’harmonie t’entoure. »

Il aurait voulu préciser que cela venait en grandissant mais il avait peur de sous-entendre qu’elle était petite et pas lui or il se l’était interdit. Il ajouta donc :

« Moi j’aime bien les levers de lune, on peut voir les étoiles briller et puis il n’y a pas que de l’argent qui enveloppe la nature ; Il y a toutes les teintes d’argent et aussi le noir d’encre de la nuit. C’est plus froid mais plus magique. Tu crois pas ? »

Somewhere posa son regard caramel sur celui de la loupiotte. Il brillait d’intelligence et bouillait de curiosité. Il ne doutait pas qu’elle comprenne malgré son âge. Ses oreilles pivotèrent légèrement pour écouter les battements feutrés d’un envol d’oiseau non loin d’eux. Il inspira profondément pour s’emplir de la forêt. Des fragrances de résine et d’épines de pin, l’odeur de la viande fraîche, le parfum sucré des fruits des bois, les effluves puissants de la meute endormie un peu plus bas. Somewhere sourit plus largement, peut-être pour lui-même. Il se sentait plus vivant que jamais.

Pour Latchula, à toute question venait la réponse. Ce n’était souvent qu’une question de temps. Quand elle formula ses interrogations, le louveteau mit quelques secondes avant de lui révéler le fond de ses pensées. Ainsi, selon lui, la beauté d’une chose n’était pas dans sa couleur ni dans son parfum, ou autre, mais dans la façon dont on la regardait, dont on s’en enveloppait… Et il lui dévoila les secrets de la nuit, la magnificence des étoiles dans le ciel d’encre, les différentes teintes magiques de l’argent…

Mais même si elle essayait de toutes ses forces de voir comme lui, elle n’y arrivait pas tout à fait. Un papillon imaginaire bariolé de couleurs voletait dans sa tête, dissipant les efforts qu’elle faisait pour les remplacer par des rêves lumineux. Bleu, rose, jaune, rouge, vert, violet… Un arc-en-ciel sur lequel elle courrait avec joie. Des fleurs au parfum embaumant poussaient dessus, la charmant par leurs effluves délicats.

La petite louve secoua la tête pour chasser ces belles pensées et se concentrer sur ce que lui expliquait Somewhere. Elle comprenait ce qu’il voulait lui dire, mais son opinion était un peu différente. Elle ne saurait pas vivre dans un monde gris au goût fade, sans odeurs ni sons de la nature. Le ciel avait besoin d’être bleu et elle était malheureuse quand les nuages le lui cachaient. La viande qu’elle avait depuis peu découvert devait avoir du goût, pour ne pas qu’elle ait l’impression de manger de la cendre. La rivière devait lui murmurer des mots doux pour ne pas qu’elle s’ennuie en l’écoutant…

Son attention se détourna peu à peu du regard de miel de son ami. Ses yeux se baladèrent sur le sol recouvert d’épines, et elle se souvint du pourquoi elle était là. La louvette sauta agilement du rocher – c’était plus facile de descendre que de monter ! – et elle fixa le jeune black. Un sourire fronçait son museau sombre et elle déclara :

- Je préfère tes yeux dorés au triste matin gris et pluvieux !

Et sur ces mots, elle appuya ses deux pattes avant sur les épaules du louveteau pour le faire basculer. Quand elle eut réussit, et elle ne pensa pas un instant qu’il n’ait pas résisté, son rire cristallin éclata dans les airs. Puis, sans attendre, elle se roula dans la terre et la mousse, s’entourant de l’odeur de pin qui émanait des épines tombées au sol. Puis quand elle fut recouverte de poussière et de verdure, elle se planta devant Somewhere, presque allongée sur ses pattes avant, l’arrière-train relevé. Position de défi. Position de jeu.

- Bah alors quoi ? T’as peur ?

La dernière fois qu’elle avait dit cela à un loup, c’était avant que ses parents ne la laissent devant la grotte des Blacks. Elle avait provoqué son père en duel et celui-ci n’avait bien sûr pas pu refuser. Le jeu s’était terminé avec Latchula sur le dos du grand mâle, tous deux riant aux éclats.

A ce souvenir, la boule de poils offrit son sourire le plus radieux au louveteau.

Latchula secoua désobligeamment la tête. Le louveteau ne doutait pas qu’à cet instant elle devait être aux prises avec des milliers de pensées contradictoires et pleines de couleurs. C’était ça l’enfance. Un arc-en-ciel de pensées où il fallait apprendre à s’y retrouver. En grandissant on perdait des couleurs et petit à petit d’un millier de teintes il ne restait plus que le gris. L’âge adulte était fade. Insipide. Somewhere avait pourtant hâte de le découvrir et d’emporter avec lui l’arc-en-ciel de son enfance. Il serait l’un des rares loups à réussir cet exploit d’innocence. Ce fut la voix cristalline de la louvette qui le tira de ses pensées.

« Je préfère tes yeux dorés au triste matin gris et pluvieux ! »

Somewhere sourit sans éprouver de gêne. La petite louve venait de marquer un point. Non seulement elle le flattait mais en plus elle lui rabattait le caquet avec un argument imparable. Latchula était pleine de ressources. Le jeune prince était heureux de la connaître maintenant. Quelques mois de plus et ils se seraient peut-être tapés mutuellement sur le système. Il en faut de peu pour changer complètement d’attitude.

Ce fut à nouveau Latchula qui le lui prouva en s’appuyant contre son épaule pour le faire basculer. Comprenant où elle voulait en venir, Somewhere feignit de tomber sous sa force sur-lupine et s’enfonça dans un lit de feuilles mortes. Le rire de la louvette s’envola dans les airs et il regretta ne pas pouvoir le retenir contre son cœur. Passé cet instant d’hilarité où il joignit son rire à celui de Latchula, le prince la vit se relever en un clin d’œil et se mettre en position de jeu.

Somewhere, toujours allongé, l’observa sans comprendre. Elle voulait… jouer ? Le louvart roula sur le ventre avant de se relever. S’approchant de la pile électrique, il tendit sa patte et la posa sur le museau de la petite. Toute trace de joie avait déserté son regard, ne subsistait qu’une paisible tendresse naissante. Accrochant les prunelles impatientes de Latchula, il lui répondit :

« Je ne jouerai pas avec toi Latchula. »

Les raisons qui pouvaient justifier cette réponse négative étaient nombreuses. D’abord il se sentait responsable de cette petite, il l’avait en quelque sorte ‘adoptée’ et son affection pour elle se rapprochait de celle qu’on éprouve pour une petite sœur. Ensuite il était un peu grand, selon lui, pour se permettre de jouer comme un louveteau de 3 mois. Le désir brûlant au fond de lui le faisait grandir plus vite qu’il ne fallait. Et enfin parce que son tempérament n’était pas celui qui amenait les jeux entre louveteaux. Il était plutôt de ceux qui jouent seuls dans leur coin et s’en portent très bien.

Devinant qu’il allait la blesser et se sachant incapable de supporter ses larmes, Somewhere fit glisser sa patte le long de son museau, descendit jusqu’à son épaule et renversa la louvette sur le dos. Il ajouta avec amusement.

« Je ne joue pas avec les boules de poils gesticulantes ! »

Bon d’accord il avait promis de ne pas lui rappeler qu’elle était plus petite que lui mais c’était tellement drôle de voir cette lueur offusquée briller dans son regard noir de jais. Et puis maintenant ils se connaissaient un peu plus. Elle devinerait sans peine qu’il ne faisait que de la taquinerie et non de la moquerie.

Quand il posa sa patte sur le museau de la petite, celle-ci ne bougea pas, attendant la suite.
Elle ne s’attendait pas à cela. Vraiment. Après son refus de jouer, elle se renfrogna… Comment osait-il lui refuser le jeu ? Jamais encore on ne lui avait opposé la moindre résistance. Elle n’avait pas l’habitude d’être contrariée et le prenait très mal…
Quand Somewhere laissa glisser sa patte sur son museau pour l’appuyer sur son épaule et la renverser, elle se laissa glisser. Sans joie. Et il rit tout seul.

Incompréhension.
Il venait de lui dire qu’il ne voulait pas jouer, et pourtant il riait. Etait-ce la tête qu’elle faisait qui l’amusait tant ?

« Je ne joue pas avec les boules de poils gesticulantes ! »

Indignation.
Et il se moquait d’elle en plus ! Il était prétentieux et fier… Et elle se mit à le détester. Ne voyait-il pas qu’il avait dépassé les bornes ? S’il continuait ainsi, il finirait mal, elle le jura. Aussi grand qu’il puisse paraître, il n’avait pas à la rabaisser ainsi. Elle le croyait différent des autres. Plus sage peut-être, mais elle le croyait être son ami. C’était le contraire. Il était orgueilleux.

Confrontation.
Se dégageant rapidement du contact du louveteau, elle recula de quelques pas. Regard contre regard, elle l’aurait anéanti si le sien avait été pourvu de pouvoirs mortels. La louvette se laissait vite emporter et à cet instant même en faisait connaissance avec un tout nouveau sentiment. La haine. S’ils avaient été indifférents l’un à l’autre, elle l’aurait ignoré. Mais en devenant ami, les sentiments se renforçaient. Les sentiments de la jeunette étaient exacerbés, comme lorsqu’elle nouait des liens avec quelqu’un… Le moment de la trahison était venu bien vite… Mais pas assez pour ne pas qu’elle risque de le haïr après. C’était trop tard.

Colère.
Il s’était joué d’elle, elle n’était qu’un test pour lui : Etait-il déjà passé à l’âge des grands ? Mais à cette question, elle pouvait y répondre pour lui. Non.

- Tu te crois plus grand parce que tu es plus âgé… Tu es arrogant ! Je ne te pensais pas comme cela.

Condamnation.
Il l’avait cherchée, il l’avait trouvée. Puisque c’était ce qu’il voulait, elle ne lui parlerait plus jamais, ne jouerait plus jamais avec lui, ne viendrait même plus jamais le voir. Elle l’éviterait jusqu’à sa mort.

Une perle salée coula le long de sa fourrure d’ébène. Unique.
Elle qui pensait avoir réussi à se faire un Ami, à se trouver peut-être même une nouvelle famille en ce louveteau, elle s’était trompée sur toute la face. Déception et tristesse étaient au rendez-vous.
Son regard de nuit contre celui caramel du félon. Son pelage de jais contre celui de crème du traître. Son esprit jeune et coloré contre celui morne et gris de Somewhere.
Par sa faute, elle ne pourrait plus faire confiance à n’importe qui. Par sa faute, elle douterait de la sincérité des prochains loups qu’elle rencontrerait. Par sa faute, elle se sentait rejetée.
Par sa faute…

Ou pas. Latchula se dégagea vivement de son contact et le fusilla du regard. Le jeune loup l’observa sans ciller. Maintenant elle allait s’énerver et tempêter parce qu’il avait osé la rabaisser. C’était si prévisible, si attendu… De toute manière cela ne pouvait se passer autrement, Somewhere ne savait pas pourquoi il avait cru qu’elle pourrait comprendre. Trop jeune. Trop inconsciente. Trop..

« Tu te crois plus grand parce que tu es plus âgé… Tu es arrogant ! Je ne te pensais pas comme cela. »

Dans le mille. Le louveteau se figea d’effroi. Les paroles de Latchula agissaient comme des coups de pattes dans son esprit et il était en train de se prendre une sacrée rouste. Cependant quelque chose en lui s’éveilla et il sentit le goût de la colère monter en lui comme une vague énorme. Elle avait le droit d’être déçue, elle n’avait par contre pas le droit de le lui reprocher et surtout de le traiter d’arrogant ! Non mais quoi ici, il l’avait gentiment accueilli et lui avait même montré son secret le plus intime et elle… Elle s’offusquait du premier refus. Décidément l’éducation de ces deux louveteaux était bien différente et Somewhere soupçonnait sans le lui avouer que ses parents l’avaient gâté, sans jamais lui dire non. Voilà pourquoi elle était en colère contre lui.

Le jeune louvart percevait une colère furieuse en lui. Il s’apprêtait à cracher les pires atrocités au museau de Latchula pour lui faire ravaler sa prétention de petite madame et obéir à son instinct le plus sombre lorsque quelque chose l’arrêta net. Brisant son élan. Latchula pleurait. Somewhere sentit sa fureur fondre dans sa tête. Perplexe il observa les larmes rouler une à une sur le museau sombre de la louvette. Pourquoi pleurait-elle ? Ignorant que c’était pour lui, pour ce qu’il avait dit, pour ce qu’il avait détruit en elle, le jeune loup continua de s’interroger en silence. Non il n’avait pas voulu ses larmes parce que dans le fond il l’aimait cette boule de poils gesticulante mais il ne voulait pas non plus changer pour elle. Devenir sociable comme elle pouvait l’être c’était encore impensable pour lui. Peut-être qu’un jour… Mais pas aujourd’hui.

Les larmes de la louvette étaient encore pire que ses mots et il détourna vite les yeux. Il ressentait un profond sentiment de culpabilité mais n’arrivait pas à s’en délester. Latchula renifla discrètement, le jeune loup tourna la tête dans sa direction mais ne vit que son dos. Elle ne voulait plus le voir. Somewhere prit une grande inspiration et se décida à parler. Elle ne voulait pas le voir, elle accepterait peut-être de l’écouter.

« Ecoute Latchula, je pensais pas que ça te mettrait en colère. Non je me crois pas plus grand parce que je suis plus âgé que toi, c’est juste que j’ai grandi d’une façon différente de la tienne. Mes parents ne jouaient jamais avec moi et mes frères et sœurs… Des petits joueurs si tu vois ce que je veux dire. »

Il marqua une pause, gêné de parler tout seul à voix haute. Latchula était toujours enfermée dans son silence boudeur. Il se racla la gorge et poursuivit son monologue.

« Je ne voulais pas paraître arrogant, je pensais que tu le comprendrais. Je croyais qu’on devenait amis tous les deux. Quand je t’ai montré la naissance du jour, je pensais que tu l’avais compris. »

Compris quoi ?

« Que tu étais exceptionnelle à mes yeux. »

Sa voix se fit toute basse.

« Mais peut-être que je me trompais. Je suis désolé de ne pas être celui que tu espérais. Je suis moi. »

Pointe de déception. Aujourd’hui il aurait bien aimé être quelqu’un d’autre. Celui que Latchula voyait en lui avant. Il hésita à partir et à la laisser toute seule avec son chagrin mais le dos obstinément tourné dans sa direction lui rappela qu’elle était en colère contre lui. Baissant le museau, il fit lentement demi-tour et commença à remonter vers le haut de la colline.

Dans une seconde d’éternité, la larme roula jusqu’au bout de son museau et se détacha du poil soyeux.
Dans une seconde d’éternité, la perle translucide tomba jusqu’au sol.
Dans une seconde d’éternité, la louvette crut qu’il se sentait coupable.
Dans une seconde d’éternité, son illusion s’effaça alors qu’il détournait le regard…

Il l’abandonnait dans sa tristesse, ne voulait pas assumer son rôle. Les yeux brillants de Latchula étaient encore fixés sur ceux du louveteau, mais lui l’ignorait. Pour cela, elle le haït encore plus, si cela était vraiment possible.
Va. Enfuis-toi, lâche. Oublie-moi et disparais. Je n’attends plus rien de toi…
La seule et l’unique fut suivie par ses sœurs, inondant les prunelles de la belle. L’espoir qu’un jour ils se réconcilient l’avait effleuré quand elle avait vu dans le regard de Somewhere cette hésitation. Mais à présent il l’avait déserté. Elle ne voulait plus. Elle ne voulait plus lui pardonner. Elle ne voulait plus le laisser lui faire du mal.

Regarde, il gèle
Là sous mes yeux
Des stalactites de rêves
Trop vieux
Toutes ces promesses
Qui s'évaporent
Vers d'autres ciels
Vers d'autres ports

Trop émotive ? Peut-être… Mais ses pensées étaient claires : ce n’était pas elle la fautive.
Elle se détourna dans un reniflement, tentant en vain de retenir ses larmes.
Soupir. Ou non, plutôt une inspiration. Il s’apprêtait à lui parler. Qu’il fasse donc, elle s’en fichait de toute façon.

« Ecoute Latchula, je pensais pas que ça te mettrait en colère. Non je me crois pas plus grand parce que je suis plus âgé que toi, c’est juste que j’ai grandi d’une façon différente de la tienne. Mes parents ne jouaient jamais avec moi et mes frères et sœurs… Des petits joueurs si tu vois ce que je veux dire. »

Elle releva un instant la tête, regardant droit devant elle, essayant de mettre les mots dans le bon ordre. Etait-il en train de dire qu’elle avait réagit trop brutalement ? Mettait-il en doute l’éducation que ses parents lui avaient apportée ? S’il cherchait à se faire pardonner, c’était complètement raté…
Dans un toussotement, il poursuivit. La petite louve noire sentait qu’il l’observait. Mais elle ne se retournerait pas. Sûrement pas.

« Je ne voulais pas paraître arrogant, je pensais que tu le comprendrais. Je croyais qu’on devenait amis tous les deux. Quand je t’ai montré la naissance du jour, je pensais que tu l’avais compris. »

Et bien non. Elle ne l’avait pas compris. Ce serait de sa faute ? Il n’avait qu’à pas la surestimer. Bien qu’elle essaye de le faire croire, elle n’était pas parfaite. Et ils auraient pu être amis s’il n’avait pas fait cette faute que de l’imaginer autre qu’elle était.

« Que tu étais exceptionnelle à mes yeux. »

Silence dans ses pensées. Hésitation. Il continue déjà, plus doucement…

« Mais peut-être que je me trompais. Je suis désolé de ne pas être celui que tu espérais. Je suis moi. »

Elle sentait la déception dans sa voix. Aurait-il vraiment voulu être quelqu’un d’autre ? Pour elle ? Soudain, elle sentit le doute l’envahir. Etait-ce vraiment lui qui avait tout fait de travers ? Ne s’était-elle pas laissée guidée par sa colère précoce ? Incertaine, elle se retourna. Le louvart repartait déjà vers le haut de la colline, sûrement pour s’excuser auprès du Soleil d’avoir préféré une petite boule de poils comme elle à la splendide magnificence de l’astre d’or. Indignée par cette probabilité, Latchula fit un pas vers lui. Mais comment le rejoindre sans lui faire croire qu’elle l’avait déjà pardonné ? Car ce n’était pas le cas. Elle lui en voulait encore mais ne supportait pas de ne plus être exceptionnelle à ses yeux, comme il l’avait si bien dit.

Aussi silencieusement que possible, elle suivit Somewhere, c’est-à-dire en faisant craquer feuilles et branches et grimaçant à chaque bruit.

Malheureux comme les pierres, Somewhere remontait la colline qu’il avait descendue en riant avec Latchula. Ce souvenir encore vivace lui déchira l’esprit en deux. Si vous cherchez quelqu’un pour casser l’ambiance en deux minutes chrono, demandez Somewhere ! Le jeune loup était en colère contre Latchula, en colère contre lui, en colère contre tout le monde d’ailleurs. Tristesse et rancœur étaient étroitement mêlées dans son cœur. D’un côté il s’en voulait mortellement d’avoir fait pleurer la louvette. Elle était son amie et depuis qu’ils avaient sympathisé il n’avait souhaité que son bonheur. Il l’avait prise avec lui pour voir le soleil se lever, la considérant comme son égal. Comme une sœur. Mais d’un autre côté, l’emportement de Latchula l’avait piqué au vif. Lui, arrogant ? Lui qui n’avait cessé de se montrer tolérant avec elle et de ne pas comparer leur différence d’âge. C’était une bien belle façon de le remercier.

A mi-chemin, le louvart entendit des craquements sonores derrière lui. Il s’arrêta quelques secondes le temps de réaliser que cela devait être Latchula. Mais pourquoi le suivait-elle ? A quoi rimait son petit jeu là ? Somewhere ne comprenait pas. Haussant les épaules d’indifférence, il reprit son chemin en silence, ruminant des pensées noires. Arrogant.. Tss. Peluche. Il sourit sans méchanceté, convaincu que dans un autre contexte que celui-ci ils auraient pu rire tous les deux de cette joute verbale.

Latchula le suivait toujours lorsqu’il atteignit le haut de la colline. Un bref coup d’œil dans le ciel lui apprit que le soleil, indifférent à sa jalousie précédente, avait poursuivi sa course céleste. Somewhere s’assit au bord du petit promontoire formé par un rocher enfoncé dans la terre et soupira. Agé d’à peine 5 mois et il considérait déjà la vie comme un paquet de problèmes emmêlés les uns aux autres par l’incompréhension et les émotions extrêmes. Peut-être que si chacun apprenait à faire un effort de considération il y aurait moins de disputes et d’incompris. Et s’il y avait moins de disputes, il y aurait moins de larmes et plus de bonheur. Et quand les loups sont heureux ils ne cherchent pas à faire la guerre. Une bulle d’espoir gonfla en lui. C’était ça la solution. Mais…

La poitrine et l’espoir du louveteau se dégonflèrent comme un ballon. Il n’était pas dominant et il doutait que Shadow comprenne son point de vue. Non pas qu’elle soit inattentive à son opinion mais la louve crème était aussi tête brûlée que lui. Têtus comme des bourriques. Elle l’écouterait sûrement mais ne chercherait pas la paix avec les Whites. La haine était trop profondément ancrée dans son cœur, depuis trop longtemps. Somewhere savait qu’il ne la ferait pas changer d’avis. Qu’il ne ferait changer d’avis personne dans la meute. Qui l’écouterait de toute manière, lui le petit prince à l’esprit détraqué qui ne jouait avec personne ? Qui était arrogant…

Le louvart enfonça ou tout du moins essaya d’enfoncer ses griffes dans le sol. Une manière comme une autre d’évacuer sa colère. Il ne voulait pas grogner ou mordre le vide parce qu’il savait que Latchula n’était pas loin et qu’elle observait peut-être ce qu’il faisait. Et il ne voulait en aucun cas l’effrayer. Il avait fait bien assez de bêtises comme ça avec le cœur de la loupiotte. Pensant à elle, sa colère s’apaisa légèrement. Il se posa soudain un tas de questions sur elle. D’où venait-elle ? Avait-elle des frères et des sœurs ? Pourquoi l’avait abandonnée si jeune devant la grotte des Blacks ? Etait-elle née sur ces terres ? Regrettait-elle sa vie d’avant, pour le peu qu’elle avait connu ? Connaissait-elle d’autres loups que lui ?

Et surtout… Le trouvait-elle vraiment arrogant ?

Alors qu’elle le suivait de loin, Latchula le vit s’arrêter. Que faisait-il ? L’avait-il entendu ? Sentie ? Vue ? Non. Pas vue… Elle était dans son angle mort, il n’avait pas d’yeux derrière la tête… Sentie ? Impossible. Le vent lui rapportait l’odeur du louveteau, un parfum frais et délicieux qui lui rappelait ses courses dans les champs fleuris. Le jeune mâle ne pouvait donc pas deviner qu’elle le suivait… A moins qu’il ne l’ait entendue…

Jetant un coup d’œil derrière elle, la louvette remarqua quelques branches cassées. Il fallait avouer qu’elle n’avait pas été si discrète que cela… Mais alors, pourquoi ne se retournait-il pas pour lui confirmer qu’il savait qu’elle était là ? Ou peut-être se trompait-elle. Il ne l’avait pas non plus entendue et s’arrêtait seulement pour faire une pause… refouler ses larmes ? De cela, la petite femelle en doutait fortement.

Le voilà qui repartait déjà. Dans un bond, elle continua de le suivre, faisant cette fois plus attention là où elle mettait les pattes, sans grand succès néanmoins. Mais son aîné black continua de faire semblant de ne pas l’entendre. Arrivé au sommet, il s’assit et leva la tête vers le ciel. Latchula fit de même mais rebaissa vivement la tête, éblouie par la lumière trop intense de l’astre d’or.

La boule de poils s’arrêta à quelques mètres du louvart et attendit. Quoi ? Elle ne le savait pas trop… Le bon moment pour aller lui parler, ou juste pour s’approcher un peu plus. A quoi pensait-il en ce moment ? Etait-il attristé par ce qui venait de se passer ? S’en voulait-il de s’être disputé avec elle ? Elle l’espérait… Elle-même commençait à être rongée par le remord d’avoir réagit trop brutalement. Si elle ne faisait rien, sa haine passée se transformerait en désespoir de n’avoir su récupérer l’amitié de celui qui était pour elle un grand frère. Protecteur. Voilà ce qu’il était. Et non arrogant, comme elle l’avait trop vite déduit. Elle avait fait une erreur terrible de l’avoir ainsi insulté.
Elle qui ne connaissait presque rien de Somewhere, elle s’était permise de le juger sur un refus.
Elle qui ne réfléchissait presque jamais sur la conséquence de ses actes, elle avait planté ses mots comme des poignards dans l’esprit de celui qu’elle avait appelé son ami.
Elle qui était trop jeune pour comprendre ce qu’était vraiment l’amitié, elle avait joué avec cela…

Bien que ses larmes se soient taries, ses yeux étaient brillants de chagrin. Elle aurait tout fait pour revenir en arrière, pour tout arranger… Si seulement elle savait comment faire…
Sans prévenir, le déclic se fit dans la tristesse de ses pensées. Elle s’avança timidement aux côtés du louveteau et s’assit à son tour. L’observant du coin de l’œil, elle laissa son cœur parler pour elle.

- Le soleil n’est beau que le matin et le soir et il s’en vante, mais le jour il fait mal aux yeux. La lune, elle, est belle tout le temps et elle n’aveugle jamais. Les nuages apportent la pluie alors que les étoiles n’offrent que leur mystère de disparaître lorsqu’on les fixe… La nuit est magique et le jour prévisible.

Murmure.

- Tu es la nuit et moi le jour…

Papillon de nuit, papillon de jour.
A la fois semblables et différents.
Mais l’un ne pouvait aller sans l’autre…

Avec un effort considérable, elle tourna sa petite tête noire vers l’ami qu’elle essayait de reconquérir. Elle avait été idiote et en était parfaitement consciente. Elle ne pourrait pas lui en vouloir s’il refusait de la regarder mais savait pourtant que sa peine serait inconsolable s’il se détournait d’elle encore trop longtemps…

Somewhere fait le vide dans sa tête. Les questions se bousculent sur les bords de son esprit, attendant une réponse qui ne viendra peut-être jamais. Il inspire à fond l’air hivernal. Les questions fourmillent toujours mais elles ne sont qu’un léger bourdonnement dans un coin de ses pensées. Il expire lentement, se concentrant uniquement sur les battements de son cœur. Boum. Boum. Boum. Boum. Le chant du bourdon cesse. Le louvart, satisfait, se concentre alors sur le monde qui l’entoure et tâche de discerner les pulsations légères et rapides du cœur de Latchula. Instinctivement il ferme les yeux comme pour communier un peu plus avec son environnement pour en capter tous les sons, toutes les odeurs, tous les infimes mouvements. Il entend le chant du vent dans les branches nues des sycomores. Il ressent la caresse d’un vent d’hiver sur la ramure frileuse d’un buisson de baie.

Et soudain il la sent. Elle. Il entend le frôlement délicat de ses coussinets sur la terre humide. L’odeur sucrée du lait maternel et un parfum de fleur vanillée qui l’accompagne sans cesse et que le vent joueur charrie jusqu’au museau du louvart. Et il écoute son cœur. Ce cœur qui bat follement et dont la chamade ressemble aux battements légers et rapides des ailes d’un papillon. Il entend qu’elle avance. Timidement. Ses pattes se posent doucement sur le sol comme si elle craignait de briser le silence qui se serait cristallisé à son approche.

Il ouvre les yeux et n’a pas besoin de vérifier. Elle est là. Assise juste à côté de lui. Elle lui parle. Que dit-elle ? Des paroles merveilleuses qui font naître un arc-en-ciel étoilé de lumière dans le cœur du jeune loup.

« Le soleil n’est beau que le matin et le soir et il s’en vante, mais le jour il fait mal aux yeux. La lune, elle, est belle tout le temps et elle n’aveugle jamais. Les nuages apportent la pluie alors que les étoiles n’offrent que leur mystère de disparaître lorsqu’on les fixe… La nuit est magique et le jour prévisible. »

Elle a compris. Elle a saisi l’insaisissable, touché l’intouchable. Les paroles de Somewhere ont pris un sens dans son esprit. Elle a accepté la beauté immuable de la nuit. Mais elle n’a pas terminé… Ses mots se voilent en murmure.

« Tu es la nuit et moi le jour… »

Le regard de Somewhere se met à briller. Il brille de beaucoup de choses. Des choses qui s’envolent, éphémères, dans le ciel. Inconnues aux yeux des autres. Mais le louvart sent soudain une présence en lui. Comme deux grands yeux tournés dans sa direction et qui l’observe en silence, attendant un geste, une parole de sa part. Alors Somewhere oublie sa colère, son chagrin et garde sa fierté dans l’ombre de son cœur. Lentement il baisse les yeux vers Latchula et son regard ne brille plus. Il étincelle.

« Un jour, il y aura autre chose que le jour… Tu verras. »

Sourire devant le regard interrogateur qu’elle lui lance.

« Le jour aussi a ses secrets. Le jour aussi a sa beauté. Une beauté volée. »

A cet instant, le jeune prince sent que quelque chose en lui se transforme. Sa vie prend un nouveau sens pour lui. Et dans les yeux de Latchula, il lit beaucoup de choses. De la tendresse. La joie d’être pardonnée. Et peut-être même, son pardon à lui. Somewhere sourit avec douceur. Sa voix est un murmure, il ne veut plus effrayer Latchula. Il veut la protéger. Il veut l’aimer. Il veut son sourire. Il veut ses rires.

« On va retrouver la beauté du jour. On va la chercher ensemble. »

Ce regard qu’elle voulait croiser… Ce regard dans lequel elle s’était déjà plongée plusieurs fois… Ce regard qui lui semblait familier…
Ce regard s’était mit à briller de mille feux, comme si des larmes venaient perler au coin de ses yeux. Mais il ne pleurait pas. Non. Il était juste ému. Et cette émotion, il la transmit à la louvette en tournant la tête vers elle. Alors, ce fut un incendie que Latchula put voir dans les yeux du petit mâle. Brasier d’émotions, celles d’un grand frère aimant, qui l’enveloppait de sa douce chaleur, réchauffant son âme, son cœur, bien mieux que n’aurait su le faire l’astre d’or.
Puis il parla. Sa voix réconfortante berça la louvette dans un espoir nouveau.

« Un jour, il y aura autre chose que le jour… Tu verras. »

Même s’il elle ne comprenait pas vraiment ce qu’il voulait dire par là, elle lui faisait confiance. Et il allait lui expliquer.
Sourire en réponse au sien.

« Le jour aussi a ses secrets. Le jour aussi a sa beauté. Une beauté volée. »

Qu’était-il en train de lui expliquer ? Elle ne saisissait pas tout… Elle avait l’impression d’écouter un vieux sage qui lui expliquait le pourquoi de la vie. Cette comparaison lui tira un sourire amusé qui fronça joliment son museau d’encre.
Elle vit le reflet de ses yeux dans ceux de Somewhere. Elle y vit le pardon, l’amitié, le bonheur d’avoir quelqu’un sur qui compter. Elle y vit des milliers de choses, mais surtout elle s’y vit. Elle était là, avec lui, dans son esprit, et elle avait à présent la certitude qu’il ne la laisserait plus jamais seule, livrée à elle-même.
Enfin, il finit.

« On va retrouver la beauté du jour. On va la chercher ensemble. »

Promesse. Et la boule de poils sombre savait qu’il ferait tout pour la tenir. Il passait un pacte avec elle. Soit mon amie et je t’aiderai à retrouver ce que tu as perdu.
Et elle acceptait.
Dans un murmure, en écho à ce qu’il lui proposait, elle lui prouva toute sa gratitude.

- Merci.

Pas besoin d’autres mots pour exprimer sa reconnaissance. Ses yeux avaient déjà parlé pour elle, le jeune black avait déjà compris…

- Mais… Je ne sais pas où chercher.

Léger instant de découragement.
Mais ressaisis-toi voyons ! Ne laisse pas le désespoir s’emparer de ton esprit !
La loupiotte écouta ses pensées se révolter contre son abattement, et elle décida de regagner son assurance, pour faire face au destin.

Et, avec une infinie tendresse, Latchula posa sa petite tête sur l’épaule de son ami, de son grand frère. Moment d’affection.
En elle, la joie faisait frémir tout son corps et les flammes d’allégresse léchaient son cœur qui palpitait à une vitesse folle. Elle avait trouvé une famille. Une vraie. Enfin, un frère plutôt. Mais il complétait ce qui lui avait toujours manqué.

Quelques secondes passèrent ainsi, elle appuyée sur lui. Ou était-ce des minutes ? Peu importait en fait, elle se sentait bien ainsi. Pourtant, elle finit par relever la tête pour plonger son regard nuit dans le caramel de celui du louvart. Son estomac venait de la solliciter et elle ne pouvait rester sourde à cet appel. D’une voix timide, elle demanda :

- Pourrait-on redescendre ? Je… J’ai faim.

Son rire cristallin s’envola vers le ciel et elle offrit son plus beau sourire au louveteau.

La louvette le remercia dans un murmure gonflé de gratitude. L’espoir d’être à nouveau son amie, cet être si cher aux yeux de Somewhere, étincelait dans ses prunelles liquides. L’instant était parfait. Ephémère. La mine de Latchula se fit soudain toute déconfite. Elle ne savait pas où chercher. Le jeune prince eut un rire. Où chercher la beauté du jour… Il n’y avait pas de lieu précis où la chercher. Il suffisait sûrement de la ressentir dans toutes les fibres de son corps et de l’apprécier de toute l’étendue de son regard. Somewhere voyait la beauté des jours dans beaucoup de choses mais la beauté du Jour. Il la voyait dans ces yeux noirs rivés dans les siens.

Latchula fit soudain quelque chose à laquelle le loup ne s’attendait pas. Sa petite tête vint se poser tendrement contre son épaule. Il la sentit fermer les yeux et soupirer. Somewhere baissa lentement la tête pour ne pas qu’elle bouge. Elle avait l’air bien. Là contre son épaule. Là contre lui… Le jeune loup déglutit avec appréhension. Il se sentait responsable de Latchula. Elle avait placé toute sa confiance en lui. Il ne devait pas la décevoir. Sa décision fut prise très rapidement. Pour elle et uniquement pour elle, il serait un autre. Juste pour elle, il serait le frère, l’ami, la présence réconfortante. Il marcherait dans l’ombre de ses pensées. A chacune de ses hésitations, il serait là. Chacun de ses chagrins, il serait encore là. Chacun de ses sourires, il serait toujours là. En sa présence, il deviendrait celui qu’elle attendait. Pour les autres, il serait Somewhere, prince silencieux des Blacks.

Certains moments ont un goût d’éternité. Mais la louvette fut très vite rattrapée par la réalité. Son ventre la titilla avant de se faire entendre bruyamment. Somewhere sourit et sa mimique se transforma en grimace lorsque se fut son estomac qui gronda de faim. Latchula proposa qu’ils redescendent. Le louvart accepta de bon cœur, il mourrait de faim lui aussi. C’eut pour effet de la faire éclater de rire. Leurs regards se confondirent dans une étreinte émue. Puis Somewhere entama la descente vers la grotte, la louvette sur ses talons.

En chemin, le jeune loup songeait à l’accueil que leur réserveraient les autres Blacks. Seraient-ils consentants ? Après tout, ils n’avaient pas voix au chapitre. C’était à Shadow, la dominante de décider. Sa grande sœur, voyant les liens qu’il avait tissés avec Latchula, accepterait sûrement qu’elle reste. Ragaillardi par cette perspective, Somewhere pressa le pas et arriva le premier en bas, à l’entrée de la grotte. Plusieurs loups étaient réveillés, ils restaient néanmoins allongés, le corps encore engourdi par le sommeil. Le jeune prince fut salué brièvement par quelques loups. Il ne répondit pas, cherchant la louve crème des yeux. Une fois qu’il l’eut repéré, roulée en boule sur une plate forme surplombant les autres loups, il se précipita vers elle et perdit toute mesure. Bondissant sur elle en jappant de joie, il lui mordilla le museau pour la réveiller.

« Shadow ! Shadow ! Réveille-toi ! »

Il était étrange de constater les changements d’attitude qui s’opéraient en lui suivant le loup à qui il s’adressait. Avec Shadow, il redevenait le louveteau polisson et intrépide qu’il avait toujours été avec elle. Avec Latchula, il se sentait plus adulte, plus responsable. Et avec les autres loups, il se montrait solide et sage. Il ne voulait pas passer pour un louveteau geignard.

Tu cours. Tu cours en envoyant toute ta fougue et la moindre puissance de chacun des tes muscles pour avancer le plus rapidement possible. Devant toi, une louve au pelage d'une teinte crème brûlée. Tu tentes désespérément de l'atteindre. Mais pourtant, plus tu essaies de t'approcher, plus elle semble lointaine, presque intangible. Comme si tes pattes ne t'obéissaient plus ou qu'Elle s'éloignait sans exécuter le moindre déplacement. Puis, le ciel bleu s'écroule. Tu te retrouves sans avoir le temps d'émettre le moindre bruit sur un sol invisible. Tes petits membres de loupiotte sont soudainement parcourues de soubresauts. Le plancher sans couleur se mets à trassaillir lui aussi. Bientôt, tu peux entendre quatre énormes pattes toucher lourdement le terrain. Un énorme mâle au regard de feu et au pelage de cendres variant de grisâtres à noires s'approche de toi à grands pas. En quelques minutes que les battements de ton coeur t'empèchent de compter, Il se retrouve tout près de toi. Ses yeux te transpercent jusqu'au fond des entrailles, lisant en plein dans ton esprit, ton âme. Bientôt, le Loup géant t'attrape dans sa gueule, resserant peu à peu son étau mortel...

Le soleil commençait doucement à se frayer un chemin entre les paupières engourdies de la dominante des Black Wolf, la sortant de son sommeil peu reposant. Bientôt, deux petits crocs vinrent attraper son museau sans pour autant la blesser. Poussant inconsciemment un grognement endormi, elle se retourna en tentant de retomber dans les bras de Morphée et de ratrapper son sommeil perturbé par son enfance volée. Le loup l'ayant créée serait de retour bientôt, elle en était certaine... Il était probablement en train de rassembler ses forces, tapis dans l'ombre pour mieux en surgir et s'en prendre à elle. Heureusement, désormais, elle n'était plus la petite louve sans défenses autres que sa langue de vipère et elle comptait lui servir un accueil digne de ses actes. En quelques fractions de secondes, la femelle commençait à retourner dans l'univers vaporeux du sommeil. Lorsqu'une voix se fraya un chemin sur le souffle du vent pour titiller les oreilles blanche de la louve, un sourire, éphémère se dessina sur ses lèvres. Somewhere. Alors que normalement Shadow aurait rapidement fait regretter d'exister au premier qui aurait osé la réveiller ainsi, la Damnée s'ébroua pour retrouver ses esprits avant de se lever sur ses pattes en étirant ses quatre membres. Posant d'un mouvement furtif mais remplit de douceur son museau sur la tête du jeune loup, elle plongea ensuite son regard de nuit dans celui du petit. Qui grandissait à une vitesse ahurissante d'ailleurs. C'est drôle, lorsque nous sommes jeunes et que les adultes nous disent chaque semaine que l'on a changé en apparence, nous ne voulons pas les croire mais, une fois à leur place, nous pouvons constater à quel point tout passe trop vite.

- Oui... ?

Le ton habituellement froid de la louve avait pris une tendresse contrastante. Peut-être que cela en indignerait certains qu'elle préfère de loin ses protégés au reste de la meute et même, au reste des loups ordinaires - sauf Lui biensûr car Lui n'est pas un loup ordinaire. Le fille de Midnight se tourna alors vers une louvette de la même couleur que sa demie soeur décédée, sans laisser transparaître la moindre expression. Si elle avait été adulte, elle aurait probablement eut droit aux yeux glacials mais par expérience, la blanche avait appris qu'elle finirait par effrayer les petits si elle agissait de la même façon.

:/

[Je me remets dans le bain… ^^]

Lorsque Somewhere entama la descente vers la grotte, la louvette le talonna. La course dans le vent la gonfla d’espoir, enivrant son esprit d’un air pur et frais. Le jeune mâle était son ami. Elle serait acceptée dans la meute. Elle en était sûre. Pour elle, c’était comme si c’était déjà fait d’ailleurs.
Quand ils arrivèrent au repère de la meute, le louveteau sut tout de suite où aller, mais Latchula resta en retrait. Elle ne s’était encore jamais autant avancée dans la grotte et la présence des autres loups, qu’elle ne connaissait pas encore, l’intimidait d’un coup. Non, il ne fallait pas se laisser dominer par la situation. Se redresser fièrement pour affronter le destin. Voilà ce qu’il fallait faire. Alors, la petite suivit son ami dans l’ombre du domaine Black. Ce dernier se dirigea vers une louve endormie dont le pelage crème se détachait du sol sombre. Ce qu’il fit ensuite la surprit au plus haut point.
Celui qui l’avait repoussé lors de la proposition de jeu venait de se jeter littéralement sur la grande femelle pour se mettre à mordiller son museau et ses oreilles, la hélant de « Shadow ! Shadow ! Réveille-toi ! ». Pourtant, Latchula ne s’en vexa pas. Elle avait eu le droit à un traitement privilégié lorsqu’il lui avait montré le lever de soleil. Il était son ami, et peut-être la jugeait-il trop grande pour jouer. Pourtant, l’adulte était beaucoup plus vieille qu’elle… Enfin, la loupiotte ne chercha pas plus à comprendre et se pencha sur un autre point.

Shadow… Ce nom lui disait bien quelque chose. Ses parents avaient du en parler devant elle. Mais pourquoi ? Intense réflexion. Mais bien sûr ! C’était la dominante ! Et si elle était la dominante et que Somewhere allait la réveiller en toute impunité, c’est qu’il devait être un petit Prince… Ses facultés de résonnement l’étonnèrent presque. La louvette écarquilla de grands yeux l’espace d’un instant, puis se reprit. Prince ou pas, il était et resterait son ami. Quoique cela faciliterait peut-être son entrée dans la meute. Super !
Cependant, l’engouement de Latchula se tarit en peu de temps. Effectivement : comment ne pas hésiter devant ce regard sans expression ? Au fond d’elle, la petite noire savait qu’en tant que ‘jeune’, elle avait droit à certains égards, comme ne pas être rejetée tout de suite. Et elle allait prouver à cette Grande qu’elle valait le coup, qu’elle n’était pas comme les autres, fade, insipide, sans valeur.
Elle était Elle, Latchula, petite louve née de deux parents assez courageux pour abandonner leur raison de vivre afin de la sauver. Fière de toute sa hauteur, elle bomba le torse et se montra plus grande qu’elle ne l’était, défiant la parente (du moins le déduisait-elle) de Somewhere de penser la renvoyer rien qu’un seul instant. Déjà, un petit sourire triomphant fronçait son museau sombre.

Perturbée dans son sommeil, Shadow ne sembla pas s’en émouvoir. Elle bailla longuement puis interrogea son petit frère sur la raison de ce réveil on ne peut plus matinal et impromptu. Somewhere lécha le museau de la grande louve puis se recula pour lui laisser la place de se redresser. Il lança un bref regard à Latchula et sourit intérieurement. La louvette bombait la poitrine pour impressionner Shadow. Croyait-elle que cela l’aiderait à s’intégrer dans la meute ? Peut-être qui sait.. Le jeune prince s’assit et pencha la tête sur le côté.

« Excuse moi de te réveiller, en fait je voulais te présenter Latchula. »

Il désigna la loupiotte du museau et lui adressa dans la foulée un regard rempli de tendresse et d’une paisible confiance. Il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, Latchula était encore jeune et de plus elle était orpheline, ce qui l’incluait d’office dans la meute. Les Blacks, les Whites ainsi que les Rainbows avaient prêté serment aux étoiles de ne jamais laisser un louveteau sans défense si celui-ci requérait leur hospitalité. La petite louve avait sans nul doute était ‘abandonnée’ juste devant la grotte d’une meute consciemment. Le but étant que quelqu’un d’autre s’occupe d’elle.

~ Et ce quelqu’un c’est moi ! ~ pensa le jeune louvart avec fierté.

Dès lors qu’il avait pris conscience de ce rôle auquel il incombait, Somewhere s’était identifié comme un grand frère, un protecteur pour Latchula. Elle était si petite, si frêle malgré les rondeurs de son corps qui n’étaient autrement dues qu’à l’enfance. Vaillant, il s’imaginait déjà la sauver des griffes d’un ours ou d’un autre loup, lui apprendre comme Shadow lui apprenait à chasser, pêcher, pister… Soudainement enthousiasmé par la perspective de passer des après-midis, des nuits, des journées avec Latchula, lui qui s’échappait régulièrement de l’ambiance familiale de la meute pour un peu de solitude, Somewhere fouetta le sol de sa queue et projeta un petit nuage de poussière autour de lui. Le remarquant, il cessa de s’agiter et reprit une attitude plus posée. Il se tourna vers Shadow.

« Elle peut venir dans la meute n’est-ce pas ? »

Derrière eux, un grand loup brun passa sans s’arrêter et sortit de la grotte. Somewhere le regarda avec attention. Des muscles puissants roulaient sous son pelage auburn, ses mâchoires d’acier étaient pratiquement tout le temps visibles et ses impénétrables yeux ambrés trahissaient des années d’expérience dans tous les domaines de la vie. C’était un des guerriers de la meute. La seule chose qui semblait lui manquer, si anodine fut-elle à ses yeux de maître, était l’amour. Il n’avait jamais sailli aucune louve de la meute ni des autres. Reclus dans un silence perpétuel, il se contentait d’obéir aux ordres, d’alimenter la réserve des Blacks et d’agir au gré de ses envies. Jamais de débordements, jamais d’esclandres, jamais de morts inutiles. Il était efficace en tout point. Somewhere l’admirait et rêvait même de lui ressembler une fois devenu adulte, une fois passé le Rite qui le ferait accéder au rang de dominant.

En effet Shadow avait laissé entendre durant leurs longues séances d’apprentissage de la vie qu’il devait être prêt à accéder à la place qui lui était échue depuis la découverte du cadavre de l’ancienne dominante. Twilight sa sœur aînée morte, par les liens du sang, il devenait l’authentique héritier du trône des Blacks que Shadow occupait afin de ne pas laisser la meute sombrer dans la déperdition. Une meute sans dominant était vouée à l’échec. Et Somewhere sentait dans les nombreuses présences du Solitaire qui lui volait sa sœur Shadow qu’il devait vite devenir dominant. Baphomet ne supportait pas la vie de meute et Shadow de moins en moins, trop aveuglée par l’amour qu’elle portait au grand loup ivoire. S’il n’aimait pas tellement le Solitaire, Somewhere était bien forcé d’admettre qu’il rendait sa sœur heureuse et que cela n’avait pas de prix. L’idée que Shadow soit comblée de bonheur suffisait pour qu’il supporte sans broncher la présence de Baphomet au sein de leur monde.

- Excuse moi de te réveiller, en fait je voulais te présenter Latchula.

Shadow hocha lentement la tête pour signifier à son jeune frère que ce n'était rien, un simple détail insignifiant, de toute façon, probablement que le va et vient des autres loups de la meute aurait eut raison de son sommeil tôt ou tard. Puis, la louve se retourna vers la louvette encore inconnue qu'elle pouvait maintenant identifier comme étant la petite Latchula. Voyant la complicité que le Prince et elle avaient forgés à travers les yeux de ce dernier, la louve au pelage de neige offrit un petit sourire, éphémère à la loupiotte au pelage d'ébène luisant à la lumière dorée du soleil. La première fois que ses yeux de braise s'étaient posés sur l'enfant, celle-ci avait gonflé son pelage, dévoilant ses quelques muscles de louveteau. Autrefois, elle se serait contentée de rire d'elle et de l'envoyer voir ailleurs. Mais, elle avait changé. Pour Somewhere. Et pour personne d'autre. Et, il fallait bien l'avouer, la Damnée aimait bien sa gueule. Peu de loups avaient osé montrer de l'audace envers elle... Et les seuls ayant réussit avaient fini dans ses plus proches connaissances. Sa famille. Baphomet... Et maintenant, Latchula.

- Elle peut venir dans la meute n’est-ce pas ?

La louve s'en voulut presque de ne pas s'en avoir douté. Somewhere n'était pas le genre de loup à laisser les autres dans le besoin dans leur coin, à se débrouiller seuls avec ce qu'ils ont autour d'eux. C'est dans ce genre de situation qu'il nous étaient possible voir à quel point la présence de cet être débordant d'énergie pouvait modifier son attitude, littéralement. Elle qui normalement se montrait très peu encline à accepter que les autres s'immiscent dans les relations des membres de sa famille, tentant le plus possible de préserver la mentalité de sa mère au coeur de celle-ci, connaissait déjà la réponse qu'elle donnerait au préadolescent. Et, au fond d'elle-même, elle savait que c'était lui dont l'ancienne Dominante pouvait être la plus fière. Parce que ce n'était pas en se renfermant sur eux-mêmes et en se fichant royalement des autres que les descendants de Midnight allaient se faire une vraie réputation. Même si, pour sa part, elle n'avait pas l'intention de changer. Après tout, il fallait bien quelqu'un pour se charger de rappeler aux autres que malgré le changement de caractère de la famille royale, celle-ci n'en demeurait pas moins une menace pour les ennemis et ceux qui tentaient de s'en prendre à la meute.

Laissant encore le silence planer quelques instants pour faire durer le suspens, connaissant l'impatience naturelle des jeunes loups, la louve les regarda tour à tour pendant un moment... Avant d'enfin leur répondre avant qu'ils ne s'inquiètent.

- Biensûr

Elle s'approcha de Somewhere en se remémorant leurs dernières discussions concernant le futur du clan. Elle l'avait mis au courant quant à son avenir en tant qu'Alpha de la tribue des Black Wolf. Elle aurait très bien put conserver son grade et ensuite le donner à un de ses enfants, cependant, elle savait que la meute serait entre de meilleures pattes si elle était commandée par le mâle. Sans compter qu'il était le mieux placé autant par sa maturité malgré son jeune àge que par son sang. Il serait un sage chef, aimé de tous. Et à ce moment là, Shadow pourrait se contenter d'un rang plus simple, agir tout en restant dans l'ombre. Et surtout, passer du temps en compagnie du loup qu'elle aimait en ' secret '. Puisqu'il n'était pas encore au courant de ses sentiments...

Continuant d'avancer, la femelle passa à côté de son frère pour lui glisser à l'oreille ;

- C'est ta meute, après tout

Elle frôla finalement Latchula, la nouvelle Black du museau avant de s'éloigner lentement vers le fond de la grotte...

Toujours debout, droite et fière, à attendre le verdict, les yeux de Latchula ne cessaient de faire des allers-retours entre le louveteau et la dominante. Il semblait y avoir une réelle complicité entre les deux loups. Elle remarqua que la queue du jeune mâle s’était mise à s’agiter dans tous les sens, créant alors un petit nuage de poussière. A quoi pensait-il pour s’enthousiasmer ainsi ? A sa venue dans la meute ? A la journée qui s’annonçait ? Ou d’autres choses auxquelles elle ne pensait pas immédiatement… Par réflexe, la loupiotte agita aussi sa queue.

Un grand loup sombre passa derrière eux, la boule de poils d’encre tourna la tête en même temps que son ami, mais leurs pensées furent différentes. Elle était surtout impressionnée par cette masse de muscle, mortellement dangereuse en pleine action. Comment ne pas frémir en voyant débouler un tel monstre ? En se concentrant sur un but. La petite louve voulait impressionner à son tour. Elle voulait faire de l’effet devant Shadow, pour que celle-ci accepte sa venue chez les Blacks, pour ne pas qu’elle la prenne pour une peureuse, ce qu’elle n’était pas. Latchula détourna le regard pour fixer à nouveau la louve au pelage de crème. Elle avait l’air d’une reine blasée par ce qui l’entourait, sauf par Somewhere.

L’Alpha prenait un réel plaisir à garder le silence devant son impatience. Et bien soit, elle attendrait. Elle patienterait aussi longtemps qu’il le faudrait pour avoir une réponse. Réponse qui ne tarda pas plus longtemps à venir.

Oui.
Oui, elle était des leurs.
Oui, elle faisait maintenant partie intégrante de la Famille.
Oui, elle était Black. Une jeune Black intrépide. Une jeune Black digne.

Son ‘merci’ se fit comprendre en un regard. Le silence n’avait pas toujours besoin d’être brisé.

Pleine de joie, Latchula inspira un grand coup et observa Somewhere, le regard pétillant. Elle était fière d’être son amie, et elle se serait bien mise à faire des bonds si elle ne s’était pas rappelée l’épisode du petit matin. La louvette retint son élan de bonheur et se contenta de regarder la grande louve s’enfoncer dans les profondeurs de la grotte.

Les gargouillements de son ventre la tirèrent de ses pensées et trouva elle-même le garde-manger après avoir rappelé au jeune prince la première raison qui l’avait poussé à descendre au repaire de la meute.
Un petit rongeur entre les pattes, elle se débrouilla pour mâcher les muscles du mieux qu’elle pouvait, comme le lui avait apprit sa mère. Sa mère… Elle la retrouverait. Sa mère…

[On arrête le topic après, hein ? ^^]

» Dieu, création [du monde *shbaff*]
» Entrée dans ce Monde [Kaala] Terminé
» blanc, pur, tout le contraire de ce monde ... [PV Kaala]